« Ne pas faire de fautes d’orthographe double vos chances de matching sur les sites de rencontre », nous dévoilait une étude parue en novembre dernier. Et si l’alignement entre expérience client et marqueurs éditoriaux permettait aussi aux entreprises de doubler leurs chances de convaincre ? À l’ère de la digitalisation des usages, du mobile first et de la transformation des canaux de distribution, l’écrit fonde l’expérience client. Placer vos mots au service de votre excellence relationnelle : c’est le sens de cette tribune sous forme de retour d’expérience, rédigée par le linguiste Raphaël Haddad et Nicolas de Chalonge, tous deux de l’agence Mots-Clés.
Le client est un lecteur !
Adresser une alerte SMS de livraison, répondre à des requêtes élémentaires via le script d’un chatbot, confirmer la bonne réception de documents par email, rédiger un courrier promotionnel : la relation entre les marques et leurs clients s’opère essentiellement à l’écrit.
Et pourtant ! Les entreprises investissent massivement pour digitaliser les parcours clients, améliorer la prise en charge des centres d’appels ou optimiser leurs réseaux de distribution. Mais peu d’entre elles font le lien entre ce qu’elles écrivent et l’expérience client qu’elles souhaitent obtenir. Résultat ? Des offres finement segmentées qui se retrouvent prises dans un sabir marketing, rangées quelque part entre un « accompagnement personnalisé à découvrir en un clin d’œil » et « des solutions faciles à activer sur mon mobile ». On voit même des écrits en décrochage net avec des standards élémentaires d’expérience : des formulations lapidaires pour une marque chaude et relationnelle, des fautes d’orthographe dans des correspondances libres, un jargon juridique pour une marque BtoC. Tout ceci enraye la performance : insatisfactions, flux entrants additionnels, pertes d’opportunités commerciales. Point névralgique de l’expérience client, l’écrit semble en être aussi le parent pauvre.

L’amélioration de vos supports écrits constitue un levier majeur d’optimisation de votre expérience client. Cette approche d’amélioration se décompose concrètement en quatre séquences.
1. Au commencement était le prototype
Toutes les expériences client ont leur traduction éditoriale. Et nous savons bien que les mots ne sont pas innocents : ils véhiculent une manière de voir le monde. Dans le cas présent, de se représenter la relation entre une marque et ses publics. Vous promettez « l’ exclusivité » ? Cela peut notamment signifier des correspondances très personnalisées, une signature manuscrite (les marqueurs non scalables sont toujours très appréciés). L’impression que vous voulez suggérer à vos clients tourne plutôt autour de la notion de « simplicité » ? Abolissez le jargon et les acronymes, préférez la forme active aux tournures passives, privilégiez les mêmes mots pour dire les mêmes choses.
Ce travail d’alignement entre empreinte d’expérience et marqueurs éditoriaux doit se faire simultanément sur les trois niveaux qui produisent du sens dans un support écrit, tel qu’ils ont été définis par le linguiste Gérard Genette. Le niveau textuel : le ton, les tournures, l’organisation des paragraphes. Par exemple : faut-il écrire « Chère Madame Dupont » ou « Chère Corinne Dupont » ou simplement « Chère Corinne » ? Comment remplacer ou expliciter les dénominations propres au jargon de votre activité ? Comme produire des correspondances qui anticipent le fait que l’on s’adresse à un homme ou à une femme, sans doubler toute la bibliothèque de modèles ?Vient ensuite la dimension paratextuelle, c’est-à-dire l’ensemble des éléments qui relèvent de la mise en forme : la typographie, l’interlignage, la charte graphique. Beaucoup d’entreprises disposent déjà de chartes sémantiques abouties, mais il arrive que celles-ci ne soient pas adaptées aux nouveaux canaux de la relation client. Viennent enfin, les marqueurs épitextuels. Ce terme désigne concrètement le support physique ou numérique de transmission : le grammage du papier et ses qualités écologiques pour un courrier print, le poids d’un email et son caractère responsive, etc.
2. Faites le test : vos clients ne vous comprennent pas (tout à fait) !

Une fois les prototypes établis en tenant compte des impératifs internes de l’entreprise, il faut les tester. Cette phase de test et de stabilisation est souvent riche d’enseignements. « Si on m’indique un numéro de téléphone sous le nom de la conseillère, je dois pouvoir appeler et demander cette conseillère » débute Matthieu ; « On n’est pas des numéros de dossier ! » s’exclame Julie ; « Je ne comprends pas ce mot », souligne David : se confronter au regard de ses clients sur ses points de contact écrits, c’est bien souvent tomber de haut ! Plusieurs ateliers « test & learn » d’analyse des correspondances existantes et d’affinage des propositions de reprises peuvent se révéler nécessaires pour ajuster des correspondances prototypées. Marques d’empathie qui sonnent creux, formules trop solennelles, promesses de gestion dédiée de dossiers en décalage par rapport à la réalité de l’expérience vécue : d’un point de vue éditorial, le sonar client est réglé sur ultrasensible !
3. Rationaliser la bibliothèque de modèles de correspondances
Les acteurs de la relation client disposent souvent de bibliothèques de correspondances énormes. Il n’est pas rare de voir plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de modèles. Ces bibliothèques sont d’abord le fruit d’une lente sédimentation des offres, des Business Units, des « moments » de la relation client. Mais aussi d’un redoutable coefficient multiplicateur des canaux : la même étape d’un parcours client peut se traduire par un courrier papier, doublé d’un SMS, triplé d’un email, quadruplé d’un formulaire pour l’espace personnel. Et c’est sans compter les entreprises qui ont fait le choix d’une bibliothèque jumelle de contenus (c’est souvent le cas des bibliothèques RH) : un modèle au masculin, un modèle au féminin.
Aussi, une fois les prototypes finalisés, il est indispensable de passer à la rationalisation. Établir une bibliothèque limitée de correspondances de référence, emblématiques de l’expérience client visée et produire un maximum de paragraphes types et combinables entre eux, plutôt que des correspondances intégrales !
4. Restituer le sens pour inscrire le changement
Reste alors un dernier défi à relever. Celui de faire vivre cette bibliothèque de contenus. De s’assurer de l’alignement durable entre expérience client et marqueurs éditoriaux. En effet, l’entreprise vit et ses écrits vivent avec elle. Dès lors, il est indispensable de restituer le sens de la démarche aux équipes internes qui prendront le relais, ainsi qu’à celles qui sont amenées à générer de nouveaux modèles de contenus. L’édition de versions annotées de correspondances emblématiques, la formation de référents éditoriaux (les « Maitre Capello » de l’entreprise), ou encore les outils de blended learning permettent de s’assurer de cet ancrage d’écrits au service véritable de l’excellence relationnelle.
Nicolas de Chalonge, responsable du développement de Mots-Clés
Dr Raphaël Haddad, linguiste, directeur associé de Mots-Clés